Après “Belle épine” et “Grand central”, Rebecca Zlotowski signe sa troisième réalisation et dirige Natalie Portman et Lily-Rose Depp dans “Planétarium”. Un film situé dans les années 30, qui fait écho au présent et qu’elle qualifie de “lyrique”.
Et de trois réalisations pour Rebecca Zlotowski, après Belle épine et Grand central. Porté par Natalie Portman et Lily-Rose Depp, Planétarium se démarque des films précédents de la réalisatrice puisqu’il se situe dans les années 30. Ce qui ne l’empêche pas de faire écho au présent, et notamment lorsque la question du cinéma y est abordée.
AlloCiné : Vos deux premiers films se déroulaient au présent : qu’est-ce qui vous a poussée à vous plonger dans le passé avec ce projet ? Une volonté de vous démarquer de vos travaux précédents ?
Rebecca Zlotowski : J’ai l’intuition que Belle Epine n’était pas tout à fait un film contemporain, mais se plaçait déjà dans une sorte de temps qui pourrait être l’imparfait, en reprenant des codes et une direction artistique des années 90, des années 70 avec ce circuit de moto illégal dont il s’inspirait. Dans Grand Central on ne filme jamais un téléphone portable, donc d’une certaine manière j’ai une sorte de soin maniaque porté à la direction artistique qui fait que j’ai toujours l’impression de faire un film en costumes. De recréer et réinventer un univers qui ne soit pas totalement ou uniquement contemporain.
Planétarium s’est inscrit dans cette démarche là et on s’est énormément amusés avec Katia Wyszkop, la chef déco, Anaïs Romand la chef costumière, le chef opérateur George Lechaptois et le directeur artistique – tous des Rolls – à nous replonger dans les années 30, si scintillantes et éclatantes artistiquement. Une période exceptionnelle à travailler et réinterpréter.
A quel moment Natalie Portman est-elle intervenue ? Aviez-vous prévu dès le début que les sœurs Barlow soient incarnées par des actrices anglo-saxonnes pour que leur appartenance à un autre monde soit davantage marquée ?
Les inspiratrices des soeurs Barlow sont les soeurs Fox, ces jeunes femmes qui ont inventé le spirtisme aux Etats-Unis. Donc qu’elles soient américaines a toujours fait partie du projet du film. Natalie Portman est arrivée très vite, chevillée très tôt au projet, avant même que le scénario ne soit terminé, et m’a parlé d’une personnalité moins connue que les soeurs Fox mais tout aussi intéressante : Victoria Woodhull.
Il s’agit de la première femme à s’être présentée aux élections présidentielles américaines (si on lui avait dit que ca ne serait vraiment pas gagné même un siècle plus tard….), qui utilisait le spiritisme comme un instrument de propagande. Qui se servait de ses soi-disant pouvoirs spirites pour prendre la parole en public. J’ai adoré cette dimension politique, féministe, que Natalie apportait au personnage.
On vit une véritable révolution avec l’arrivée du numérique
Le fait d’avoir une star américaine a-t-il modifié votre approche de la mise en scène ?
En amont, avant d’être sur le plateau, oui, bien sûr. Ça crée une forme d’excitation, de responsabilité aussi, très grande : on a encore moins envie que pour une autre actrice de lui proposer un rôle sans cohérence, et on doit prendre en compte ce que signifie la présence d’une telle célébrité dans la création du personnage. Il ne faut pas que ça reste impensé.
Dans le cas des soeurs Barlow, des spirites censées être mondialement connues, le statut de star hollywoodienne de Natalie servait évidemment le personnage, c’était voulu. Ensuite, sur le plateau, ça ne change rien : comme avec tous les acteurs principaux d’un film, il faut inventer la langue étrangère qui sera la nôtre pendant tout le film. Avec elle, comme avec Emmanuel Salinger, comme avec Lily Rose. Le fait que mon anglais soit aussi sommaire que celui d’un enfant de 8 ans nous a aidées : on se disait l’essentiel, sans tergiverser.
Comment votre choix s’est-il porté sur Lily-Rose Depp pour incarner Kate ?
C’est Natalie qui m’a envoyé une photo d’elle alors qu’en France on la connaissait à peine. J’ai été saisie par leur ressemblance, évidemment, mais aussi par le fait que toutes les deux connaissaient depuis si jeunes la célébrité, et que c’est Natalie qui me la désignait : ça créait un lien de sororité immédiat, très fort. Lily Rose parlait couramment les deux langues et c’était inespéré car je cherchais en priorité une jeune actrice bilingue. Ensuite j’ai rencontré en Lily Rose l’actrice, et le casting s’est arrêté quand elle est entrée dans la pièce. Elle avait la force, l’évidence d’une actrice du muet, expressive et fascinante.
Lily-Rose Depp : “Je n’ai pas envie de rôles qui se ressemblent”
Le film possède plusieurs facettes et montre notamment un cinéma en pleine mutation : avez-vous cherché à faire un parallèle avec sa situation actuelle, pour évoquer ses changements en filigrane ?
Au délà de l’immense suspicion que suscitent les images d’aujourd’hui et leur circulation démonétisée (complotisme, conspirationnisme, trafics en tous genres, crise de la représentation…), j’ai l’impression qu’on ne dit pas assez combien on vit une véritable révolution avec l’arrivée du numérique.
Il y avait dans le film, avec l’usage qu’on a fait d’une caméra complètement expérimentale et inédite, la Arri 65, une sorte d’écho avec ce que traverse le personnage principal du producteur, avide de découvrir et d’inventer LA caméra capable de fixer sur pellicule les traces des fantômes. Il y avait très certainement là une volonté de ma part de mettre en parallèle les expérimentations des uns et des autres.
De manière plus générale, vous servez-vous du passé pour parler du présent ?
J’avais très envie de faire un film qui parle d’aujourd’hui et, curieusement, c’est avec les outils du film d’époque que c’est arrivé. Je ne pense pas qu’on puisse superposer les années 30 à aujourd’hui, et ce malgré de fortes similitudes – crise économique, montée des populismes, flambée des racismes et de l’antisémitisme auquel il faut ajouter aujourd’hui l’islamophobie – mais l’idée qu’il puisse y avoir des échos, qu’un certain climat de menace soit similaire me plaisait.
J’adorerais qu’on sorte du film en se disant que c’est un film d’aventures
Click Here: azzaro parfum
Quel est le principal obstacle à éviter lorsque l’on fait un film d’époque comme celui-ci ?
La fabrication d’un film est semée d’embûches à tous les niveaux, films d’époque ou pas. Mais je dirais que pour le film d’époque c’est le côté “mimétique” qui aurait été réducteur, qui nous aurait entravés : demander aux acteurs de parler comme dans les années 30, essayer de coller à une certaine image un peu kitsch et folklorique d’une France de l’époque. Tout le travail, en utilisant une camréa très moderne et au niveau de la direction artistique, a été de nous éloigner du cliché pour rentrer dans la propre langue du film, dans sa personnalité singulière.
“Planétarium” est un film très riche, avec plusieurs niveaux de lecture. Voire plusieurs genres. Comment le décririez-vous ?
J’adorerais qu’on sorte du film en se disant que c’est un film d’aventures. Avec des personnages lyriques, forts et romanesques, comme dans un Jules Verne.
Travaillez-vous sur un autre film ? Si oui, sera-t-il plus proche de celui-ci ou des précédents ?
Je ne peux pas encore en parler dans le détail, mais tout ce que je peux vous dire c’est qu’il s’agira d’une adaptation de bande dessinée, et une BD plutôt très drôle. Donc très loin des trois premiers films. C’est excitant de se jeter dans l’inconnu.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 10 novembre 2016